29 septembre 2006

Les hommes se taisent par orgueil ou par obligation ?

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Pour expliquer que les hommes appellent beaucoup moins à l'aide quand ils sont dans la détresse, on évoque l'orgueil viril.
Depuis toujours on a demandé aux hommes de taire leurs souffrances éventuelles pour le cas où on a besoin de bras pour des travaux de force et pour servir de chair à canon. Il n'est pas question d'amoindrir la part de sacrifices supportée par les femmes parce qu'en l'occurrence leurs sacrifices se basent sur des registres propres (celui de la femme-mère dévouée par ex.). D'ailleurs, entre nous, on ne pourrait comparer les deux conditions, féminine et masculine, sans être immédiatement suspecté de vouloir atténuer les injustices inhérentes à la première. C'est un autre débat...

Bref, quand aujourd'hui on dit d'une femme qu'elle se sacrifie pour ses enfants, on dit juste d'un homme qu'il assume ses responsabilités de père/mari/chef de famille. S'il ne se comporte pas comme on l'attend, il y a de fortes chances qu'il voit s'abattre sur lui les anathèmes qu'on réserve aux hommes dans ce domaine: lâche, père absent, salaud, n'assumant pas sa paternité alors qu'une femme qui accouche sous X, abandonne son enfant le fera forcément "par amour" "pour donner une chance à son enfant" "avec courage" comme on dit. En aucun cas, il n'est question d'entacher la démarche de cet être admirable qui après la douleur de l'enfantement, accablé par le chagrin, abandonne la chair de sa chair.

Quand on utilise le terme "orgueil" , un des 7 péchés capitaux, pour qualifier ce comportement traditionnellement masculin consistant à cacher sa souffrance, on fait appel au registre de la fierté virile qui est tout sauf valorisant dans la société actuelle (notamment par le discours féministe dominant).
On utilisera donc rarement "orgueilleuse" pour qualifier une femme qui tait sa souffrance à cause de ce que le terme implique d'incompatibilités avec son image traditionnelle et toujours actuelle dans la société (humble, altruiste, courageuse).
L'orgueil, l'attitude orgueilleuse face à une souffrance sous entend qu'on est tenu d'assumer "comme un homme" les conséquences de son comportement. Une femme qu'on qualifie plus facilement de "courageuse" dans une même apparente posture pour affronter une situation de détresse équivalente est, quant à elle, vue comme victime de son sort et drapée de l'héroïsme féminin de circonstance. Si en plus elle affirme adopter cette posture dans la volonté de protéger ses enfants elle sera parfaitement dans son rôle de mère altruiste et dévouée sans que ce statut ne soit considéré enfermant et dévalorisant comme on peut l'entendre régulièrement dans le discours féministe. En comparaison, cette posture chez un homme, qualifiée d'orgueil, renvoie à son ego même si la volonté de protéger son entourage est exactement la même. Au mieux, le sacrifice d'un homme est le minimum attendu mais n'a pas de valeur supérieure.

Alors si un homme tait sa souffrance peut-être n'est-ce pas parce qu'il est bouffi d'orgueil viril mais peut-être est-ce parce que s'il en fait part, il sort outrageusement du comportement qu'on attend de lui avec le risque d'incompréhension que ça suppose. L'incompréhension est sans doute la dernière chose que l'on recherche dans un état de détresse.
Et puis quand la souffrance devient insupportable, quand on sait que trois morts par suicide sur quatre sont des hommes, s'agit-il vraiment d'emporter son orgueil dans la tombe pour pouvoir en profiter toute l'éternité du néant ?
Que chaque homme* qui atteint cette ligne de mon texte revienne sur les moments au cours desquels il a adopté cette attitude muette afin de constater par lui-même rétrospectivement s'il s'agissait de sauver par dessus tout son orgueil viril ou s'il s'agissait d'épargner son entourage avec ses problèmes et risquer d'ajouter le regard de reproche à sa souffrance.

*Vu que la question d'excès d'orgueil ne se pose pas pour une femme.

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